BROUHAHA : Journal des élèves
Lycée Giocante de Casabianca



PEAU DE TRANSIT

par Jean Claude Loueilh


Toute peau se chagrinerait en cuir d'assez ingrate camisole si elle ne se laissait voir alors qu'elle accroche l'ombre et la lumière; ou quand elle exalte son chatoiement et ses lueurs, exprime ses ténèbres et ses couleurs. Les peaux de studio ne s'élongent et ne se galbent-elles pas sous les dispositifs réfléchissants, les ombrelles retorses, les panneaux de verre fumé diversement inclinés? Mais c'est là encore faire aussi usage d'une écriture de lumière pour faire jouer la peau, dans un rôle de suppôt à quelque belle image sur papier glacé (lequel forme non moins ironiquement une autre peau arraisonnant les incidents du monde avec l'œil du voyeur).

Alors que toute peau machine ses épousailles avec les nuits, les soleils, les aubes, les zéniths, les crépuscules, les mille et une minutes de gloires et de nimbes. Qui fait surgir ainsi et effectue comment elle tisse et plisse, contracte et irradie les tons, les hâles, les limbes.

Mieux : toute peau est d'abord noire, parce qu'ainsi capable de toutes les couleurs, quand le blanc souffre de ne jamais s'éteindre. Peau noire : étrange tain à découvert, sans moire d'argent, et qui s'allume -krou- du vert olive vanité de la grande forêt sombre, ou s'orange -n'zema- du voisinage de la longue pirogue écarlate.

Toute peau qui se grise ainsi, de toutes les couleurs.

Machine de transfert, formidable aimant de l'œil sauvage, et dispensant le visible, la peau ne forme pas seulement cet étrange miroir sans glace ni glacis mais encore une machine de transit pour afficher le métabolisme des couleurs, I'affleurement des pigments et leur irisation. Nigm vel formosa, à fleur de peau chromatique. Sur la palette de mélanine, et depuis l'hypoderme, eu mélanine et phacomélanine migrent, se mélangent, viennent s'habiller de soleil et habiter les choses. Le peulh se cuivre et le massai rougeoie. Toute peau est donc transie, transitive, transitoire, photophore et caméléonne.

Encore n'avons-nous pas visité - en ce zoo d'épidermes et de cuticules - les peaux qui déclinent encore les formes selon qu'elles sont peaux d'écailles et peaux de comes, peaux de chitine et peaux de serpent. Reste que menacé, alors qu'exposé il nage en pleine eau, et sentant sa mort venir, le poulpe vire plâtre !

Quant à lui l'homme à la peau de serpent, au risque de la perdre, travaille à l'usine de nylons...


Jean Claude Loueilh